Quelques étapes de la Société d'agriculture de Limoges

En 1750, Duhamel du Monceau a publié le premier tome du « Traité de la culture des terres », avant lui, il n’était pas de bon ton d’écrire sur les questions agricoles, « on aurait cru s’avilir ». Les tomes suivants du Traité de la culture des terres paraissent au cours des années 1750-60. Le tome II des arbres fruitiers est édité en 1768.

Au cours de la décennie suivante paraît l’œuvre maîtresse du Dr Quesnay pour qui « la terre est l’unique source des richesses » ainsi que « L’ami des Hommes » du Marquis de Mirabeau ; un engouement passager pour l’agriculture voit le jour. Duhamel souhaite alors que des bénévoles créent, dans chaque région, des sociétés chargées de la vulgarisation des idées nouvelles permettant d’accéder à la prospérité générale. La première est celle de Rennes (1757) présidée par Vincent de Gournay.

Quelques étapes de la société de Limoges

En Limousin, l’intendant Pajot de Marcheval désire qu’une « institution à objectif pratique (préconise) des améliorations immédiatement applicables parce que bien expérimentées »[1].

Il réunit en septembre 1759, sous son autorité 7 membres tous propriétaires, dont 3 à dans notre territoire : Martial de Lépine, propriétaire à Chaptelat, Nieul et Couzeix, secrétaire, il en deviendra secrétaire perpétuel et- nous ignorons son prénom- Goudin de Laborderie, propriétaire à Chaptelat et Isle, trésorier, il en deviendra trésorier perpétuel et censeur- et De la Bastide de Verthamont, propriétaire à Couzeix et Uzurat, il s’occupera des vignes et de l’analyse des terres.

Pendant les deux dernières années de l’intendance de Pajot de Marcheval, objectif pratique et expérimentations seront toujours à l’ordre du jour.

Chaque membre (ils passent rapidement de 7 à 15 puis à 17 auxquels il convient d’ajouter un certain nombre de correspondants) se voit confier un secteur particulier et doit également, dans ses domaines, répéter les essais réalisés au domaine d’expérimentation de la Société.

C’est en décembre 1759 que la répartition des tâches a été faite. Les réunions des mois précédents avaient été consacrées à l’étude d’ouvrages récents. Cette étude sera bien sûr poursuivie au cours des années suivantes.

Les séances sont hebdomadaires jusqu’au départ de Pajot de Marcheval et vont être résumées par la plume de Martial de Lépine.

Un arrêt du Conseil d’Etat du 12 mai 1761 donne à la Société de Limoges le statut de Société Royale d’Agriculture avec deux bureaux annexes l’un à Brive, l’autre à Angoulême.

L’arrêt ne fait pas état de la Société de Limoges créée précédemment et les intéressés sont piqués au vif. Ils répondent à la réception du document de la façon suivante :

Monsieur,

 La société de Limoges formée depuis l’année 1759 par les soins… de M. de Pajot de Marcheval se croyait suffisamment autorisée dans ses assemblées et dans ses recherches par l’approbation…de sa majesté, consignée dans vos lettres des 22 août et 17 décembre 1760. Quand elle vous a supplié de lui faire accorder l’arrêt du 12 mai dernier, qu’elle vient de recevoir, elle se flattait d’y voir rappeler la date de son institution et de faire connaître au public qu’il n’y avait que la Bretagne qui l’eut devancée dans l’étude pratique de l’agriculture.

Sa joie eut été pure et sans mélange, si l’arrêt dont elle vous fait, Monsieur, ses très humbles remerciements, eut plutôt confirmé que fondé un établissement déjà approuvé.

Nos Limousins sont très fiers de cette institution, de sa précocité et ils se sont passionnés pour l’œuvre entreprise.

On aura noté que jusqu’à cette date, l’objectif à atteindre est d’ordre pratique. Turgot, qui arrive peu de temps après, a des critères forts différents de ceux de Pajot de Marcheval. Pour lui la « discussion de quelques points de la théorie d’agriculture » est plus importante que les expériences. Des tensions nombreuses apparaissent rapidement entre le nouvel intendant et les sociétaires et la phrase suivante, écrite par Turgot, montre bien le peu de considération qu’il pouvait avoir pour ceux-ci et pour quelques autres Limousins : « Convertissez bien toutes les Russies, depuis le Memel jusqu’au Kamtchatka, et venez ensuite prêcher dans nos montagnes du Limousin« .

Le bel enthousiasme de la Société naissante va un peu s’essouffler, au cours des années suivantes. L’attitude de Turgot en est en partie responsable et son action, si bénéfique pour notre province dans d’autres domaine, ne l’a pas été dans ce cas particulier.

Bien que les réunions, qui étaient hebdomadaires, soient devenues bimensuelles, les travaux de la Société, surveillés de près par l’Intendant, aussi exigeant pour les autres que pour lui-même, restent importants. Et l’institution de concours ouverts à l’ensemble des Sociétés du royaume donne « une grande publicité au Bureau de Limoges, connu désormais du public éclairé, des membres des Sociétés Savantes[2]« .

Turgot quitte la Généralité en 1774. Son successeur portera, au cours des premières années de son intendance, un intérêt médiocre aux activités de la Société dont les séances de travail vont s’espacer de plus en plus et qui aura tendance à somnoler. Elle n’est point la seule du reste. Le mouvement agronomique tiédit. La Société de Paris notamment aura de nombreuses années d’éclipse avant de reprendre vigueur à la veille de la Révolution.

Martial de Lépine a réalisé tous les comptes-rendus de la Société de Limoges sauf un et le registre devient muet à partir de 1785. Un petit noyau d’irréductibles semble cependant continuer son action au cours des années 1785-1789. Le bureau annexe d’Angoulême a fermé ses portes depuis longtemps. celui de Brive, sous l’autorité remarquée et agissante de Cabanis, vit encore en 1791. A la fin des années révolutionnaires la Société d’agriculture et des arts de la Haute-Vienne prendra la relève de la première Société.


[1] J.C. Parot, Mémoire.

[2] D’après A. Leroux, il est l’un des plus réputés du royaume, Mémoire…p51.

Sources :

Bulletins de la Société d’Agriculture, Sciences et Arts de la Haute-Vienne, 1882 à 1910.

La Société d’Agriculture de Limoges, 1759-1785, par Parot J.C., Mémoire du diplôme d’études supérieures, Poitiers, 1964.

Annales de la Haute-Vienne, années 1834-1839.

Courrier agricole et commercial, années 1897-1906.

Congrès de l’agriculture limousine du bicentenaire, société d’agriculture de la Haute-Vienne, 3-11 octobre 1959.

Histoire de la France rurale, tome 3 : Apogée et crise de la civilisation paysanne, par AgulhonMaurice.

De l’enseignement agricole au savoir vert, par Boulet Michel, Paris, 1991.

Naissance d’une agriculture nouvelle dans le canton de Nieul, par Mémoire du canton de Nieul, 1996.