Les premiers livres de raison et les limites de leur connaissance

La majorité d’entre eux a été découverte et éditée à la fin du 19ème siècle.

Frédéric le Play, premier théoricien de la sociologie de terrain, précurseur dans sa volonté de fonder scientifiquement les sciences sociales par l’utilisation méthodique d’enquêtes monographiques de terrain a inspiré les érudits locaux dans la recherche et l’étude de ces fameux livres.

Le grand siècle des livres de raison français est le 17ème siècle. Après une apogée dans les années 1600-1650, le genre amorce son déclin et l’accentue après 1750. Moins nombreux, il y en a encore au 18ème siècle. Quelques uns sont rédigés courant 19ème siècle, mais ils se font plus rares et ils appartiennent principalement à des origines plus modestes .

Ce déclin peut s’expliquer par le fait qu’au 18ème siècle, le livre de raison entre en concurrence avec d’autres écrits intimes qui mettent en valeur l’individu, en accord avec l’esprit nouveau du temps, livres de souvenirs, récits de voyage, autobiographies, en attendant les journaux intimes.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas la Révolution française qui est la cause principale de cet abandon. Un petit nombre de livres de raison ont traversé la période révolutionnaire pour continuer ou reprendre leur cours au 19ème siècle. Mais le genre est désormais moribond. Dans les années 1880, Charles de Ribbe, fidèle disciple de Le Play, prétend enseigner à ses contemporains comment tenir un livre de raison : c’est pour lui, un élément indispensable à la reconstruction de la famille idéale d’autrefois…sans succès.

L’étude de ces livres n’a pas été réalisée, à ses débuts, de façon scientifique, telle que nous la connaissons aujourd’hui (à partir des années 90).

Lors de leur publication, les livres de raisons ont été « modernisés »: le langage, et certains passages ont été modifiés. Aujourd’hui, certains chercheurs, comme Michel Cassan ou Nicole Lemaître, ont réalisé une nouvelle édition du texte complet à partir des morceaux choisis anciens ; d’autres comme Bernard Delmaire en ont donné une première édition. Néanmoins l’étude de ces livres de raison reste encore timide.

En Limousin, environ une centaine de livres de raison sont connus (le plus grand nombre de ceux trouvés en France à l’heure actuelle). Ils s’étalent du 14ème au 20ème siècles.(il y a environ une quarantaine de livres pour le Poitou et la Bretagne, une quinzaine pour la Bourgogne et une dizaine pour le Lyonnais).

Il existe en France des foyers de « lisants-écrivants » ; parfois loin des centres universitaires. Ces foyers peuvent s’expliquer en partie par la présence importante du notariat, notamment dans le Midi et le Centre. « Les notaires français sont non seulement auteurs de nombreux livres mais ils interviennent ponctuellement dans la rédaction des autres , à l’occasion de la copie dans le livre de famille d’un acte de mariage, d’un testament, d’un acte de vente…La multiplication tardive des livres de raison dans la France du Nord peut être mise en rapport avec les progrès plus lents qu’y connurent le tabellionnage et le notariat« .

La rédaction et le succès des livres de raison peuvent également être associés à la faiblesse et à l’éloignement de l’Etat, qui donne à la famille un rôle fondamental comme cellule de décision et de pouvoir (Limousin, Provence, Bretagne).

Les femmes pour leur part, n’ont laissé à l’époque moderne que quelques rares livres de raison connus. Ce sont généralement des initiatives isolées de la part de veuves de notables que la mort de leur époux laisse en position de chef de famille.

Dans notre secteur d’étude, nous avons l’exemple de Jeanne Boyol que nous verrons plus loin.

Jean Tricard, Livres de raison, chroniques, terriers…les passions d’un médiéviste, éd. pulim, 2007, pages 183 à 202.